Le Sénat s’intéresse à la transformation des emplois de service par la robotique intelligente

Le 28 novembre 2019, la Délégation à la prospective du Sénat a présenté un rapport d’information intitulé « Demain les robots : vers une transformation des emplois de service » réalisé sous la responsabilité de Mme Marie Mercier, sénateur de Saône-et-Loire, et de M. René-Paul Savary, sénateur de la Marne.

La révolution des machines intelligentes, cause de la disparition de l’emploi ?

Le rapport balaie les craintes de destructions massive d’emplois dans les services et les considère comme infondées. Il fait, notamment, valoir que :

  • Des études récentes (OCDE, 2019 ; France Stratégie / Benhamou & Janin, 2018 ; France Stratégie / Le Ru, 2016 ; Conseil d’orientation pour l’emploi, 2017) donnent une estimation basse de 10 à 15% d’emplois susceptibles d’une automatisation totale, contrairement à l’étude (Frey & Osborne, 2013) qui laissait penser que 50% des emplois pourraient disparaître du fait de l’automatisation des tâches.
  • Les pays les plus utilisateurs de robots et d’IA (Allemagne, Japon, Corée du Sud), sont aussi ceux qui connaissent les taux de chômage les plus faibles.
  • Les robots et l’IA restent en comparaison avec des opérateurs humains, limités en matière d’intelligence sociale et de compétences relationnelles, indispensables dans le secteur des services.

Il met, au contraire, en évidence les avantages attendus :

  • Economiques : gains de productivité, réduction des erreurs, création de nouveaux services que des humains ne pourraient pas réaliser,
  • Sociaux : transfert de tâches fastidieuses et répétitives à des machines, amélioration de la sécurité au travail.

Une profonde transformation à venir des emplois et de l’environnement du travail

Transformation des emplois et de l’environnement du travail

Il note, néanmoins, que des évolutions rapides sont déjà en cours et fait valoir que les difficultés à venir avec l’utilisation des robots intelligents résulteront moins d’une disparition massive des emplois de services que d’une profonde transformation de ceux-ci et de l’environnement du travail :

  • La modification de la structure des emplois marquée par l’accroissement de la polarisation du marché du travail, avec une raréfaction de l’emploi intermédiaire, au profit de l’emploi très qualifié et de l’emploi non qualifié.
  • Une concentration géographique des emplois au bénéfice des grands pôles d’activité métropolitains.
  • Un impératif de collaboration dans le travail avec des outils de plus en plus perfectionnés : Homme-Robot (notamment avec des robots collaboratifs / cobots), Homme/IA
  • Un éclatement de la relation de travail normée autour de tâches et d’horaires, au profit d’une relation de travail plus informelle et plus souple.

Des effets néfastes à long terme

Le rapport met en évidence les risques liés à la transformation des emplois de service avec des effets néfastes à long terme, tels que :

  • La déqualification des personnes dont les tâches sont automatisées, y compris de métiers très qualifiés (radiologues, pilotes d’avions) : le savoir-faire accumulé pendant des années n’a plus de valeur.
  • L’intensification du travail humain et l’augmentation de la charge mentale au travail : résultant de l’imposition de cadences infernales par les machines dans un contexte de contrôle étroit du contenu du travail humain.
  • La réduction de l’autonomie au travail par les robots intelligents et le caractère très intrusif dans la vie au travail de la collaboration homme/robot.
  • La fragilisation du financement de la protection sociale en réduisant la part de la valeur ajoutée qui va à la rémunération des salariés. L’idée de taxer les robots résulte de la crainte de ne plus disposer d’une assiette suffisamment large pour financer la protection sociale.
  • D’autres inconvénients de l’utilisation de l’IA ont été identifiés : possibilité de manipulation insidieuse dans la relation homme/machine, reproduction des biais et des discriminations, tendance à l’anthropomorphisme.

La perspective d’une « robotisation heureuse »

Le rapport trace la perspective d’une « robotisation heureuse » en encourageant l’innovation, la formation et l’invention de nouvelles régulations et formule 10 recommandations.

Les 10 recommandations de la délégation à la prospective

  1. Assurer une couverture numérique du territoire, afin d’éviter une robotisation à plusieurs vitesses.
  2. Développer les démonstrateurs d’innovations pour lever les obstacles psychologiques à l’utilisation de robots de service.
  3. Effectuer une évaluation systématique de l’impact de l’introduction de robots dans les organisations publiques ou privées.
  4. Encourager l’accès à des jeux de données publiques et privées destinées à favoriser l’innovation.
  5. Former massivement les personnes appelées à intervenir dans la mise en œuvre des nouveaux outils numériques : informaticiens, gestionnaires de données, techniciens chargés de la maintenance robotique.
  6. Réformer l’enseignement scolaire afin d’encourager l’adaptabilité ultérieure des jeunes.
  7. Développer les compétences transversales dans l’enseignement supérieur afin « d’apprendre à apprendre ».
  8. Renforcer l’appareil de formation professionnelle continue en accordant une priorité aux travailleurs dont l’emploi est automatisé ou susceptible de l’être rapidement.
  9. Intégrer dans les négociations sociales en entreprise la question de l’utilisation d’outils d’intelligence artificielle et de robots et de leur impact sur les conditions de travail.
  10. Garantir un droit à la reconversion pour les salariés dont les emplois sont supprimés par la robotisation.

Un rapport de plus ?

Le rapport vient s’ajouter à une longue liste de documents produits sur l’avenir du travail et l’impact de Intelligence Artificielle et de la Robotique par divers organismes français ou internationaux : (France Stratégie, 2016, 2018), (COE, 2017), (OCDE, 2019), Forum Economique Mondial (WEF, 2018) … De même, la littérature scientifique en ergonomie, psychologie et sociologie des organisations ou économique a pointé de longue date nombre des effets néfastes potentiels.

Reste désormais à savoir quelles applications concrètes seront faites de ce rapport. Que feront les élus de ce rapport ? Quelle traduction en sera faite dans le domaine de la formation initiale et continue ? Quelle appropriation en sera faite par les entreprises et les représentations des salariés dans le cadre de la conduite de projets, du dialogue social, la gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC) et des politiques de qualité de vie et condition de travail (QVCT) ?.

Ressources  

  • Benhamou, S., & Janin, L. (2018a). Intelligence artificielle et travail [Page Web]. France Stratégie. https://bit.ly/3kDRQx0
  • Benhamou, S., & Janin, L. (2018b). Intelligence artificielle et travail [Rapport]. France Stratégie. https://bit.ly/383ntxn
  • COE. (2017a). Automatisation, numérisation et emploi – Tome 1 : Les impacts sur le volume, la structure et la localisation de l’emploi. Conseil d’Orientation pour l’Emploi (COE). https://bit.ly/3ORgxEd
  • COE. (2017b). Automatisation, numérisation et emploi – Tome 2 : L’impact sur les compétences [Rapport du Conseil d’orientation pour l’emploi]. Conseil d’Orientation pour l’Emploi (COE). https://bit.ly/3OWuXD0
  • Frey, C. B., & Osborne, M. A. (2013). The future of employment: How susceptible are jobs to computerisation?. Oxford Martin School. https://bit.ly/3OYnEuj
  • Le Ru, N. (2016a). L’effet de l’automatisation sur l’emploi : Ce qu’on sait et ce qu’on ignore. France Stratégie. https://bit.ly/3seRpgR
  • Le Ru, N. (2016b). L’effet de l’automatisation sur l’emploi : Ce qu’on sait et ce qu’on ignore (Note d’analyse No 49). France Stratégie. https://bit.ly/3w4Q2T3
  • Mercier, M., & Savary, R.-P. (2019a). Demain les robots : Vers une transformation des emplois de service (Rapport d’information No 162). Sénat. https://bit.ly/38UqK2d
  • Mercier, M., & Savary, R.-P. (2019b). Demain les robots : Vers une transformation des emplois de service [Rapport d’information (sommaire web)]. Sénat. https://bit.ly/3vHunkQ
  • OCDE. (2019). Perspectives de l’Emploi de l’OCDE 2019 : L’avenir du travail. OECD. https://doi.org/10.1787/b7e9e205-fr
  • WEF. (2018a). Future of Jobs 2018 [Dossier Web]. World Economic Forum. https://bit.ly/3rAruyW
  • WEF. (2018b). Future of Jobs 2018. World Economic Forum (WEF). https://bit.ly/3KpGIPU

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A propos de l'auteur

IPRP spécialisé en intervention ergonomique et en AMOA de projets, j'interviens auprès des organisations qui souhaitent concilier conditions de travail et objectifs de performance, transformer les enjeux environnementaux et sociétaux en leviers de développement et de différentiation.

Je suis convaincu que placer les collaborateurs au centre de l'organisation aura un impact transformationnel sur toute l'activité : gagner en productivité sans sacrifier la qualité de vie au travail, préserver le sens et encourager le travail bien fait développera la satisfaction des clients et la croissance des résultats.

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