Repères | Démarche ergonomique : quels bénéfices pour les entreprises et les personnels et leur encadrement ?

Intervention ergonomique de prévention : décloisonner les approches santé, travail, emploi et performance.

Il faut toujours inscrire la prévention des risques dans l’activité concrète et dans l’expertise détenue par les personnes en situation pour en assurer l’effectivité »
(Brugière et coll., 2020)

Une démarche scientifique

Les ergonomes et les professionnels des facteurs humains adoptent une approche scientifique et systématique qui utilise des méthodes robustes et reproductibles à l’aide d’outils et de techniques éprouvés centrés sur l’opérateur / utilisateur (H/F) ; c’est-à-dire toute personne qui interagit avec des équipements, des espaces de travail ou des systèmes.

Déroulement de la démarche ergonomique

Dans le monde francophone, la démarche ergonomique suit le modèle d’intervention formalisé par (Guérin et coll., 2006 ; St-Vincent et coll., 2011) sous la forme d’un double entonnoir (voir schéma ci-dessous). L’ergonome progresse par étapes et adapte son étude au contexte de l’entreprise et aux interactions avec ses interlocuteurs (commanditaires, direction, encadrement, opérateurs et IRP) pour analyser et documenter l’activité de travail et coconstruire le cheminent vers l’amélioration des situations de travail. (Vézina et coll., 2016)

Schéma du déroulement de la démarche ergonomique (Vézina et al., 2016)

Déroulement de la démarche ergonomique (Vézina et coll., 2016) d’après (Guérin et coll., 2006) et (St-Vincent et coll., 2011)

  1. Dans le premier entonnoir, les premières étapes de la démarche partent de la demande initiale, de son analyse pour comprendre les besoins et les attentes formulées par l’entreprise ou le CSE et de leurs reformulations dans le cadre d’une convention d’intervention. L’approche systémique et la récolte de données conduisent à cibler les situations de travail qui feront l’objet de premières investigations et d’analyses de l’activité dont les résultats serviront à bien poser et comprendre les problèmes (pré-diagnostic).
  2. Après l’établissement d’un diagnostic consensuel avec les différentes personnes impliquées, des projets de transformation seront proposés qui nécessiteront une compréhension approfondie de l’activité.
  3. Le deuxième entonnoir renversé matérialise l’élargissement des effets et des personnes impliquées dans l’intervention, au travers de la conduite des projets de transformation dont l’objectif est de favoriser une prévention durable.
  4. La flèche directionnelle indique la construction sociale mise en œuvre durant toute l’intervention avec la participation évolutive dans le temps d’acteurs de l’entreprise.

Approche ergonomique de la conduite de projet : enrichir les projets par la prise en compte du travail, simuler le travail futur, accompagner la conduite du changement.

Concevoir des situations de travail permettant une activité efficace préservant la santé des opérateurs

Concevoir des lieux de travail, mettre en œuvre une nouvelle machine, déployer un progiciel (ERP, CRM, …), transformer une organisation, sont autant d’exemples de projets qui impactent durablement les conditions de travail des personnels et peuvent affecter leur santé et sécurité. De mauvais choix peuvent s’avérer excessivement coûteux, pénaliser et réduire les capacités opérationnelles.

L’ergonomie de conception des situations de travail vise à définir leurs différentes composantes et interrelations : tâches à réaliser, espaces de travail, équipements matériels et logiciels utilisés, structure organisationnelle (affectation des effectifs, répartition des tâches, horaires, règles et procédures …) afin de permettre le déploiement d’une activité efficace et préservant la santé des personnes.

Contribuer à mettre en place une démarche globale et structurante

La conduite de projet vise à encadrer le processus de conception au sein de l’entreprise en s’appuyant sur une démarche définie au démarrage du projet :

  • qui vise à concevoir ou transformer une ou plusieurs situations de travail ;
  • qui implique un collectif d’acteurs (décideurs, prescripteurs, concepteurs, opérateurs et opératrices et leur encadrement, instances représentatives du personnel IRP) porteurs de perspectives et attentes différentes (stratégique, sociale, organisationnelle, technique, économique…) et de connaissances inégales sur le contenu, les finalités et les modalités de déroulement du projet ;
  • structurée par une organisation (comité de pilotage, groupe projet, comité de suivi, groupes de travail, …) et un cadre temporel et financier limité.

Dans ce contexte, l’intervention ergonomique contribue à mettre en place une démarche globale et structurante qui permet de :

  • Passer d’un projet techno-centré à une conduite de projet basée sur le travail réel actuel et futur qu’elle contribuera à définir grâce aux simulations.
  • Contribuer à la conception d’un système de « travail de qualité » et d’enrichir les objectifs du projet lui-même.
  • Eclairer les décisions de conception par des arbitrages entre les différentes dimensions de la performance (humaine, technique, économique…) et leurs interdépendances prenant en compte les enjeux de santé et sécurité pour les personnels concernés.

La démarche de conduite de projet décrite par (Van Belleghem & Barcellini, 2011 ; Barcellini et coll., 2013) décrite et schématisée ci-dessous a été mise en œuvre un grand nombre de fois depuis sa formalisation initiale et utilisée tant pour la conception de systèmes techniques, que pour la conception d’organisations du travail (Petit et coll., 2011 ; Van Belleghem, 2012).

Elle est structurée en trois étapes « Analyser »,  » Simuler », « Accompagner » et s’échelonne depuis les questionnements initiaux jusqu’à la livraison et à l’évaluation d’usage, avec comme objectifs d’enrichir le projet par la prise en compte du travail, d’envisager et simuler les situations de travail futur possibles, pour réduire les incertitudes et les omissions, éclairer les choix de conception et au terme du projet ne rien devoir refaire.

Démarche de conduite de projet proposée par l’ergonomie de l’activité (Van Belleghem & Barcellini, 2011) 600x353

Démarche de conduite de projet proposée par l’ergonomie de l’activité (Barcellini et coll., 2013)

1. Analyser : construire des connaissances sur le projet et le travail réel

En premier lieu, l’Analyse du projet permet de poser un diagnostic de projet à destination des décideurs et de contribuer à la structuration de la conduite du projet (cf page projet) et à la redéfinition (de certains) de ses objectifs au regard des enjeux de santé et sécurité et de performance du travail.

L’Analyse du projet porte sur :

  • Les premières intentions formulées et les enjeux (économiques, de production, de qualité, de conditions de travail…) explicités ou non ;
  • La structure projet mise en place autour de la maîtrise d’ouvrage (porteuse de la vision future ; exprime des problèmes / besoins) et de la maîtrise d’œuvre (chargée de la réalisation et de la recherche de solutions) ;
  • L’identification de la population (opérateurs et encadrement) concernée par les futures situations de travail, la collecte et le traitement des données relatives à la santé et à la performance du système existant.

L’analyse ergonomique du travail, qui amorce la démarche de conduite de projet, a pour objectifs de produire des connaissances liées au travail utiles aux décideurs pour faire des choix sur le projet (enrichissement des objectifs ou de la structure) et pour fournir des repères de conception aux concepteurs et prescripteurs (fonctions internes ou externes à l’entreprise telles que : service méthodes, bureau d’études, conseil en organisation …).

L’analyse du travail porte sur toutes les situations de travail de « référence » dont les déterminants (humains, techniques, organisationnels, sociaux) servent à éclairer, tant la situation de travail initiale, que future.

Elle servent à l’ergonome :

  • A établir des bibliothèques de situations d’action caractéristiques (SAC) qui répertorient la variabilité des situations rencontrées par les opérateurs (H/F) et permettent d’anticiper celles qu’ils devront gérer dans le futur.
  • Et à l’élaboration de scénarii d’action qui seront « joués » lors des simulations par les opérateurs et leur encadrement.

2. Simuler : évaluer et enrichir les propositions des concepteurs, établir un dialogue entre opérateurs et prescripteurs

Les simulations, réalisées dans le cadre de groupes de travail (cf structuration du projet), exploitent la compréhension du travail réel actuel synthétisée dans les scénarios d’action, pour « faire jouer » aux personnes concernées le travail futur probable dans les conditions imposées par les nouveaux scénarios de prescriptions proposés par les prescripteurs.

Elles permettent d’anticiper les conditions de réalisation de l’activité dans des contextes spécifiques et ainsi, d’évaluer les propositions des prescripteurs, d’effectuer des choix parmi les scénarii de prescription et par itérations, d’en réaliser une amélioration progressive.

Les principales modalités de simulation sont :

  • Soit à l’échelle 1 (grandeur nature) sous la forme d’un prototype dont les opérateurs (H/F) pourront éprouver les améliorations apportées (ou pas) par la nouvelle solution, d’un espace de travail matérialisé (même sommairement) pour vérifier un scénario d’action et la capacité à effectuer des consignes, tâches et/ou gestuelles professionnelles ;
  • Soit sur un support de simulation réduit, tel qu’une maquette ou un plan et l’utilisation d’avatars (personnages et objets miniatures) permettant aux opérateurs (H/F) de se projeter et d’incarner leurs actions simulées.
Analyse d'avant-projet et simulation sur plan de situations de travail

Analyse d’avant-projet et simulation sur plan de situations de travail

Les simulations contribuent à établir un dialogue entre les opérateurs et les prescripteurs et favorisent l’élaboration de solutions de conception négociées et de compromis parfois innovants. Ce dialogue reste néanmoins soumis à l’arbitrage des décideurs (en lien avec les IRP) et à leur validation / exclusion de pistes de recherche de solutions en fonction des objectifs visés et des moyens alloués au projet.

3. Accompagner : concrétiser les apports de la simulation

Les simulations en elles-mêmes ne suffisent pas à agir sur les situations de travail en devenir. Il est essentiel que les scénarios de prescription privilégiés soient validés par l’instance décisionnelle du projet (Comité de pilotage, direction de l’entreprise) et soient réellement mis en place et déployés lors du démarrage du projet.

C’est pour cela qu’il est nécessaire :

  • De lister et documenter les critères de choix lors des séances de simulation ;
  • De justifier les choix de conception, les compromis réalisés, au regard des enjeux du projet (santé, sécurité, qualité, performance …) ;
  • De retraduire les résultats des simulations sous formes d’exigences exploitables par les concepteurs.

Bénéfices de l’intervention ergonomique : préservation de la santé et performance de l’entreprise, libération des compétences, maîtrise d’usage et contribution à la RSE

La démarche ergonomique centrée sur l’utilisateur va au-delà de la sécurité, de l’efficacité et de la facilité d’utilisation pour englober le bien-être au travail et la capacité pour les individus à se réaliser dans leur travail et pouvoir mettre pleinement en œuvre leurs compétences.« 

Préserver la santé et la sécurité et libérer les compétences des travailleurs pour faire un travail de qualité

L’ergonomie et les facteurs humains sont axés sur le bien-être des opérateurs (salariés, stagiaires, intérimaires …). Outre la nécessité sociétale et éthique de veiller à ce que les personnes soient en bonne santé et se sentent bien dans leur cadre de travail, il y a une valeur économique à veiller à ce qu’elles y travaillent dans des conditions saines et sûres. Cela englobe le fait de tenir compte des variabilités interpersonnelles tant de genres que de capacités physiques et cognitives, pour permettre davantage d’équité (femme / homme), de maintenir dans l’emploi des opérateurs seniors et des personnes en situation de handicap, d’adaptabilité et de flexibilité sur les postes de travail pour répondre aux variabilités (matières premières, commandes, pannes, absences …).

Contribuer à la maîtrise d’usage, à la gestion du changement et ce faisant à la réussite des projets

En conception, l’application de l’ergonomie et des facteurs humains contribue à créer des équipements de travail, des systèmes, des produits / services plus faciles, plus sûrs et plus efficaces car mieux adaptés aux besoins et capacités des personnes qui les utilisent. Elle permet de même, de créer des lieux de travail résilients, performants, sains et durables.

Dans le cadre d’un projet architectural les simulations permettent d’anticiper la phase de déménagement et de dimensionner effectivement les moyens à mobiliser (humains, matériels, temporels, logistiques, communication …), le fonctionnement en mode dégradé dans les anciens locaux et la montée en charge progressive dans les nouveaux ; planifier la communication à destination des tiers (fournisseurs, clients, patients, usagers …) qui seront impactés par le projet et devront être accompagnés et guidés.

Dans le cadre de projets de transformation organisationnelle ou numérique les simulations permettent de tester les scénarii de prescription sur des périmètres réduits, de prévoir la montée en charge et mettre en évidence les régulations nécessaires, les besoins de coordination de services différents et les points de blocage potentiels et imprévus …

La participation des opérateurs aux simulations des situations de travail futur probables participe de la gestion du changement et contribue à leur appropriation du projet et à leur formation aux nouveaux contextes de travail.

Faire converger les effets utiles du travail et participer à la démarche de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE)

L’analyse systémique conduite lors de l’intervention ergonomique permet de prendre en compte l’ensemble des déterminants et des effets des activités de travail sur les opérateurs afin de faire converger les effets utiles du travail en termes de préservation de la santé et d’épanouissement au travail pour les opérateurs, de développement de la performance (qualité, productivité, régularité, …), qui, en retour, contribuent à délivrer aux bénéficiaires (clients, patients, usagers) de l’organisation (entreprise, collectivité, association …) des services effectifs ou produits répondant à la qualité attendue.

Les actions conduites pour rendre le cadre de travail plus sain et sûr, notamment par la suppression ou à défaut réduction des risques liés à l’utilisation / exposition aux substances chimiques, matériaux toxiques ou déchets sont à la fois bénéfiques pour la santé des salariés qui les manipulent et plus largement pour la prévention des pollutions et la protection de tous les êtres vivants.

La mobilisation des salariés autours des actions pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, pour la protection de l’environnement et de la biodiversité, et la réhabilitation des habitats naturels peuvent constituer autant de levier d’engagement, d’attractivité et de création de sens dans le travail quotidien, et être source de sentiment de fierté et de valorisation.

Ce faisant, la démarche ergonomique contribue aux enjeux de performance attendue par les parties prenantes (internes et externes) pour la composante sociale/sociétale de l’entreprise/organisation et pour la composante opérationnelle et économique au travers de la délivrance d’un service effectif (produit / service), mais aussi pour la composante environnementale ; qui à elles trois constituent les fondement la Responsabilité Sociétale de l’Entreprise (RSE).

Vers une convergence des effets utiles du travail – (Van Belleghem, 2017)

L’action ergonomique a pour objectif le développement conjoint des Hommes et des Organisations par la mise en œuvre de conditions permettant aux travailleurs d’exercer pleinement leurs compétences.

Plaçons la Santé et la Qualité de Vie au Travail au cœur de l’organisation pour libérer le potentiel de vos salariés

Ressources

  • Barcellini, F., Van Belleghem, L., & Daniellou, F. (2013). Les projets de conception comme opportunité de développement des activités. In P. Falzon, Ergonomie constructive (p. 191‑206). Presses Universitaires de France (PUF). https://doi.org/10.3917/puf.falzo.2013.01.0191
  • Brugière, A., Pavageau, M., & Rousseau, T. (2020). Le monde du travail à l’épreuve d’un coronavirus : Analyses et réflexions. Revue des Conditions de Travail, 10, 6‑13. https://bit.ly/38DoKeS
  • CIEHF. (2016). The Human Connection – How ergonomics & human factors can improve lives, business and society. Chartered Institute of Ergonomics & Human Factors (CIEHF). https://bit.ly/3171UYW
  • CIEHF. (2018). The Human Connection II – A second series of case studies demonstrating how ergonomics and human factors can make life better. Chartered Institute of Ergonomics & Human Factors (CIEHF). https://bit.ly/3171UYW
  • Guérin, F., Laville, A., Daniellou, F., Duraffourg, J., & Kerguelen, A. (2006). Comprendre le travail pour le transformer : La pratique de l’ergonomie. ANACT.
  • Petit, J., Dugué, B., & Daniellou, F. (2011). L’intervention ergonomique sur les risques psychosociaux dans les organisations : Enjeux théoriques et méthodologiques. Le travail humain, 74(4), 391‑409. https://doi.org/10.3917/th.744.0391
  • Saint-Vincent, M., Vézina, N., Bellemare, M., Ledoux, É., & Imbeau, D. (2011). L’intervention en ergonomie. (J. Lapierre, Éd.). Éditions MultiMondes.
  • Van Belleghem, L. & Barcellini, F. (2011) Cours ERG 220, laboratoire d’ergonomie, CRTD-CNAM
  • Van Belleghem, L. (2012). Simulation organisationnelle : Innovation ergonomique pour innovation sociale. Actes du 47ème congrès international de la SELF. 47ème congrès international. Société d’Ergonomie de Langue Française, Lyon, France. https://bit.ly/3rtZC0S
  • Van Belleghem, L. (2017). Faut-il repenser le « schéma à 5 carrés » pour analyser le travail contemporain ? Actes du 52ème Congrès International Société d’Ergonomie de Langue Française, 589‑593. https://bit.ly/3cVDR1S
  • Vézina, N., Chatigny, C., & Calvet, B. (2016). L’intervention ergonomique : Que fait-on des caractéristiques personnelles comme le sexe et le genre ? Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 18‑2. https://doi.org/10.4000/pistes.4847
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