Repères | Projet architectural : la contribution de l’ergonomie à la prévention et à la maîtrise d’usage.

Concevoir des lieux de travail est une affaire sérieuse qui impacte durablement les conditions de travail des personnels et de leur santé et sécurité. De mauvais choix peuvent s’avérer excessivement coûteux, pénaliser et réduire les capacités opérationnelles. La contribution ergonomique à la conduite d’un projet architectural n’a pas vocation à se substituer au travail de spécialistes techniques de la conception (architectes, bureaux d’études …) mais au contraire aider la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre à réduire les risques. Elle a pour objectifs d’enrichir les hypothèses initiales et lever les incertitudes tout au long du projet, de contribuer à l’amélioration des conditions d’exécution du travail et à la maîtrise d’usage dans les futures installations par la prise en compte des facteurs organisationnels, techniques et humains le plus en amont possible du projet.

Chiffre clé et enjeux

Les choix opérés lors de la conception architecturale engagent 90% du coût global. Il est donc essentiel d’accorder à la conception l’attention qu’elle mérite, tant en termes de délais que de financement. Des délais et des financements trop serrés dans les phases de conception conduisent généralement à des surcoûts et des sous-qualités durablement dommageables.
(OEAP, 2010)

Replacer les utilisateurs / usagers et la qualité d’usage au cœur du projet architectural

Au-delà des considération techniques et économiques de construction, d’exploitation, d’entretien, … (MIQCP, 2006) rappelle qu’il est essentiel de replacer l’usage du bâtiment au cœur du projet architectural.

Un bâtiment doit être adapté aux utilisateurs qui y exercent et développent leurs activités et aux usagers qui en bénéficient, dans des conditions aussi satisfaisantes que possible en termes de qualité d’usage et de services rendus.

La productivité des utilisateurs et des installations, la qualité, l’adaptation et les évolutions des activités qui s’y développent, les coûts de maintenance, résultent directement des choix architecturaux, techniques et fonctionnels faits lors de la phase de conception.

« Tout ceci explique l’importance qui doit être accordée aux phases “amont” et en particulier aux études de programmation, y compris dans leurs composantes particulières : approche en coût global ou haute qualité environnementale qu’il convient d’initier très tôt pour une meilleure efficacité. »
(MIQCP, 2006)

Positionnement de la démarche ergonomique en appui de la conduite de projet architectural et de la maîtrise d’usage

La conception architecturale est un processus social complexe comportant de nombreuses formes d’interactions entre des acteurs aux logiques différentes (commanditaires et clients = maîtrise d’ouvrage, concepteurs = maîtrise d’œuvre ; utilisateurs professionnels finaux et usagers / bénéficiaires de prestations).

L’approche ergonomique n’a pas vocation à se substituer au travail de spécialistes techniques de la conception (architectes, bureaux d’études …) mais de contribuer à l’amélioration des conditions d’exécution du travail et à la maîtrise d’usage dans les futures installations par la prise en compte des facteurs organisationnels, techniques et humains le plus en amont possible des projets d’investissement.

Elle peut non seulement apporter des préconisations techniques issues des analyses du travail mais aussi fournir des éclairages utiles dès les phases précoces d’intention puis tout au long des phases de conception, de réalisation jusqu’au démarrage et à la prise en main des nouvelles installations.

Elle s’articule avec les structures (maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre) mises en place pour la réalisation du projet en accordant une place importante aux opérateurs / travailleurs concernés par le projet, au travers de l’analyse de l’activité en situation réelle et de la définition de « situations d’action caractéristiques » susceptibles d’être transposées et de servir de base à des simulations des situations de travail futures possibles.

La démarche ergonomique a pour objectifs d’assister la maîtrise d’ouvrage (MOA) et le responsable de projet à adresser plusieurs enjeux

Conforter le rôle de la maîtrise d’ouvrage (MOA) et contribuer à un pilotage efficace des différentes phases du projet

Éviter des écueils fréquents dans la conduite de projets de conception :

  • Le manque d’expérience de la maîtrise d’ouvrage,
  • La définition lacunaire des objectifs trop souvent orientée sur des choix techniques à court terme,
  • Les incompréhensions entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre,
  • L’association limitée et parcellaire des utilisateurs finaux …

Aligner le projet sur le travail réel et mieux adresser les besoins de performance des équipements et de santé des opérateurs

Éviter que des moyens de travail soient mis en place à partir de représentations erronées déconnectées du travail réel, ou fondées sur un existant qu’il n’est pas souhaitable de reproduire tant en raison de leur impact délétère sur la santé des opérateurs que pour leur médiocre performance opérationnelle en production.

Faire que les équipements futurs ne répondent pas seulement aux besoins exprimés qui sont contractuels mais intègrent aussi les besoins implicites non exprimés car perçus comme « évidents » par le client et qui s’ils ne sont pas traités, engendreront rapidement une forte insatisfaction ou seront à l’origine d’atteintes à la santé des opérateurs.

Soutenir la maîtrise des enjeux économiques des investissements

Selon (OEAP, 2010) les coûts de conception constituent entre 8 et 15% des dépenses d’investissement initial. La répartition des coûts globaux entre conception, réalisation et exploitation sur la durée de vie d’un bâtiment démontre en revanche que l’exploitation représente 75% du total.

Si la conception pèse 10% du coût immédiat, elle ne représente plus que 2% du coût global. Pourtant, les choix opérés lors de cette phase engagent 90% du coût global.

Contribution ergonomique à chaque des étapes d’un projet architectural

Les acteurs du projet architectural

Le modèle « Définition / Résolution de problème » qui prévaut généralement, met face à face une instance qui pose le problème (Maîtrise d’Ouvrage) et une instance qui le résout (Maîtrise d’Œuvre).

Maîtrise d’Ouvrage (MO ou MOA)

  • Commande la construction mais n’en est pas nécessairement l’utilisateur final (cas notamment des collectivités ou des entreprises avec des agences ou filiales …);
  • Finance les travaux et paie les prestataires ;
  • Joue un rôle politique au sens de l’organisation ou au sens propre dans le cas des élus de collectivités ;
  • Est (censé être) le décideur ;
  • Regroupe souvent plusieurs personnes issues de différentes structures impliquées (cas notamment des collectivités ou entreprises avec des agences ou filiales …).

Maîtrise d’Œuvre (ME ou MOE)

  • Prestataire (Cabinet d’architectes, bureau d’études, …) chargé de la bonne réalisation des travaux et de la mise en pratique technique des besoins du maître d’ouvrage.
  • Réalise les plans, la traduction technique, définit le planning, réalise le choix des entreprises qui seront en charge de la réalisation des travaux.
  • Peut aussi décider et effectuer des choix (solutions techniques / organisationnelles …)

A côté leurs côtés peuvent intervenir des prestataires de services (spécialisés) qui vont les assister dans la réalisation de leurs tâches respectives : Assistance à Maîtrise d’Ouvrage (AMOA) notamment le programmiste et Assistance à Maîtrise d’Œuvre (AMOE).

Etapes clé d’une conduite de projet architectural

Un projet architectural respecte une structuration précise :

  • Etudes préliminaires qui servent à cadrer les objectifs et contraintes du projet
  • L’intervention d’un cabinet spécialisé (programmiste) qui va rédiger le Programme architectural qui sera soumis à la Maîtrise d’œuvre MOE / cabinet d’architecte
  • Choix d’une Maîtrise d’œuvre MOE / Cabinet d’architecte (dans le cas d’un concours la sélection est notamment faite sur la production d’Esquisse)
  • L’Esquisse sélectionnée sert de base à des démarches itératives qui débouchent sur la production d’un Avant Projet Sommaire (APS) puis de l’Avant Projet Détaillé (APD). A ce stade l’architecte s’engage sur le coût final du projet.
  • L’APD est le document officiel qui sert au dépôt et à l’obtention du Permis de Construire (PC).
  • L’architecte prépare la phase de réalisation par la production du document décrivant le Projet (PRO) et du Document de Consultation des Entreprises (DCE) qui sert à la sélection des entreprises et artisans appelés à la réaliser des lots et œuvres composant le chantier de construction.
Synthèse des étapes clés d'une conduite de projet architectural

Synthèse simplifiée des étapes clés d’une conduite de projet architectural

Comme tout projet, un projet architectural peut être découpé en 4 grandes phases (Faisabilité, Conception, Réalisation, Usage) qui structurent et relient les différents points d’étapes qui marquent l’avancement dans le projet depuis l’idée initiale à l’origine du projet, la décision de lancement du projet, la validation d’options avant de lancer la réalisation effective et la mise en exploitation.

Phases de projet et Etapes clés d'une conduite de projet architectural

Phases de projet et étapes clés d’une conduite de projet architectural

1. Opportunité – Faisabilité

Cette phase recouvre toutes les études préliminaires qui doivent éclairer la décision de lancement du projet :

  • L’étude d’opportunité : va permettre de définir le problème initial à résoudre, les enjeux pour l’entreprise qui lui sont associés, une évaluation des impacts que la concrétisation du projet pourrait avoir pour l’organisation (commerciaux, financiers, humains, organisationnels, …)
  • L’étude de faisabilité : va explorer tous les aspects liés aux moyens qui serait à mobiliser (financiers, humains, organisationnels, techniques …) pour mener à bien la réalisation du projet, l’évaluation du ROI retour sur investissement, étudier différents scenarii

2. Conception

Dans un projet architectural la phase de conception est découpée en deux parties et associe deux types d’acteurs : la programmation fait appel aux compétences d’un Programmiste et se terminera par le choix d’une maîtrise d’oeuvre (MOE) / Architecte. Comme nous l’avons vu précédemment celle-ci va produire des Esquisses puis après des itérations un Avant Projet Sommaire (APS) puis l’Avant Projet Détaillé (APD).

3. Réalisation

La réalisation commence après l’obtention du Permis de Construire (PC) et des délais légaux de recours par les tiers, la sélection des prestataires pour réaliser les différents lots du chantier.

4. L’utilisation

La livraison marque le début de la prise en main des équipements / bâtis par la Maîtrise d’Ouvrage et le démarrage / fonctionnement.

Objectif de la démarche ergonomique : réduire les risques en conduite de projet, mieux envisager le travail futur, ne rien omettre pour ne rien refaire.

Concevoir des lieux de travail est une affaire sérieuse qui impacte durablement les conditions de travail des personnels et de leur santé et sécurité. De mauvais choix peuvent s’avérer excessivement coûteux, pénaliser et réduire les capacités opérationnelles.

Le modèle « Définition / Résolution de problème » repose sur plusieurs hypothèses

  • Tout se passe comme si le Maître d’Ouvrage savait exactement ce qu’il voulait, mais ne pouvait l’exprimer sans une aide (programmiste).
  • L’énoncé du problème de conception (programme) est achevé lorsqu’il est remis à la Maîtrise d’Œuvre (Architecte), avant l’élaboration des solutions.
  • Toutes les exigences, prescriptions et contraintes seraient identifiées et fixées au départ.
  • Les données manquantes dans le programme sont considérées, comme :
    • des lacunes de la Maîtrise d’Ouvrage,
    • du ressort de la Maîtrise d’Œuvre.
  • Selon ce schéma on pourrait définir totalement en amont tous les éléments nécessaires à la réalisation d’un projet.

Les causes des échecs ou retards constatés de bon nombre de projets de conception de situations de travail

(Grosjean, 1999) note le risque de dérive radicale induite par la distinction entre Maîtrise d’Ouvrage, auteur uniquement de « prescriptions » définitives et invariables, et la Maîtrise d’Œuvre dont le rôle serait simplement d’y répondre. C’est pourquoi il pointe les échecs ou retards constatés de bon nombre de projets de conception de situations de travail causés par :

  • Des objectifs de projet mal définis par la Maîtrise d’Ouvrage,
  • L’abandon complet de la conduite du projet par la Maîtrise d’Ouvrage au profit de la Maîtrise d’Œuvre,
  • La non-prise en compte du facteur humain, des aspects liés à l’organisation du travail et à la formation par une Maîtrise d’Œuvre ayant des compétences essentiellement techniques,
  • Une conduite de projet mal organisée, ont accentué ce phénomène, alors qu’en parallèle, depuis le début des années 90, le courant de l’ingénierie concourante, c’est à dire l’association durant toute la durée du projet de tous les services concernés par la conception, prenait de l’ampleur.

Pour être pleinement réussi un projet d’aménagement ou de conception d’espace de travail nécessite une compréhension claire et une prise en compte du travail réel des opérateurs. Il est essentiel de comprendre les logiques de travail mises en œuvre et de cartographier les situations d’actions caractéristiques, d’identifier les aspects positifs et négatifs de l’existant (collectif, ressources, processus, organisation …), de façon à se fixer comme objectifs dans la réalisation du projet d’améliorer ce qui ne fonctionne pas ou mal et veiller à préserver et renforcer ce qui marche bien.

La démarche ergonomique permet d’enrichir et réduire les incertitudes à chacune des étapes de l’avancement du projet :

Contribution de l'ergonomie à chaque étape des projets architecturaux

Contributions de l’ergonomie à chaque étape du déroulement d’un projet architectural

Etudes préliminaires

  • Effectuer un diagnostic de l’existant faisant le lien entre les enjeux de performance et ceux de santé et sécurité au travail.
  • Enrichir les objectifs initiaux au regard de l’analyse du travail réel.

Etudes de base

  • Analyser des sites de référence
  • Recenser des Situations d’Action Caractéristiques (SAC) et définir des scenarii de situation de travail futur possibles
  • Synthétiser et formaliser l’expression de besoins
  • Définir des repères pour la conception (prescription
  • Mettre en place d’une démarche participative pour réaliser des simulations / utiliser des maquettes
  • Analyser les esquisses

Etudes détaillées

  • Analyser les itérations de l’Avant Projet Sommaire (APS) puis de l’Avant Projet Détaillé (APD) au filtre du diagnostic du travail réel et des Situations d’Action Caractéristiques (SAC)
  • et des résultats de simulations sur plan ou à l’échelle réelle effectuées avec les opérateurs concernés et leur encadrement jouant des scenarii de situation de travail futur possibles.

Réalisation

  • Implication des opérateurs / utilisateurs concernés et leur encadrement dans des simulations grandeur natures peuvent être faites sur un local témoin ;
  • Tester des aménagements / équipements ;
  • Préparer le déménagement et la montée en charge (simulations sur des périmètres limités, évaluation des moyens à mobiliser, rédaction de guide méthodologique ) ;
  • Entamer la phase de formation des futurs utilisateurs pour accélérer leur prise en main.

Réception / livraison

  • Réception des locaux / équipements ;
  • Évaluation d’usage ;
  • Accompagner le déménagement et la montée en charge ;
  • Faciliter la formation des personnels sur la base des Situation d’Actions Caractéristiques et Scenarii de situations de travail.

L’intervention ergonomique n’engendre ni retards et ni surcoût significatifs

projet avec ou sans l'assistance d'ergonome lors de la programmation

Comparaison des structures temporelles d’un projet classique et d’un projet avec l’assistance d’ergonomes lors de la programmation (Martin, 2012)

Les retours d’expériences (Martin, 2012 ; Beaujouan & Escouteloup, 2014) montrent que l’intervention ergonomique n’engendre pas de surcoût significatif. Au contraire, à partir de contraintes économiques définies, elle peut influencer la répartition des investissements au plus près des besoins réels d’utilisation future et intégrer les exigences des situations de vie et de travail des futurs utilisateurs dans les déterminants de la conception.

L’approche ergonomique peut prendre la forme de missions d’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMOA), d’accompagnement à l’élaboration de schémas directeurs ou de programme architectural, d’aide à la validation de plans ou au démarrage des nouvelles installations …

Anticipons ensemble les conditions de travail futures pour que les projets d’aujourd’hui soient les réussites de demain

En savoir plus

Apport de la démarche ergonomique dans la conduite de projets

Ressources Ergonomie & Projet Architectural

Articles de recherche

  • Beaujouan, J., & Escouteloup, J. (2014). Ergonomie et architecture : Contribution des ergonomes à la conception des espaces de vie et de travail. In Pathologie professionnelle et de l’environnement, (p. 70‑78). Elsevier. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01069089
  • Bellemare, M., Garrigou, A., Ledoux, É., & Richard, J.-G. (1995). Les apports de l’ergonomie participative dans le cadre de projets industriels ou architecturaux. Relations Industrielles / Industrial Relations, 50(4), 768‑788. JSTOR. http://www.jstor.org/stable/23074133
  • Grosjean, J. C. (1999). Utilisation de l’ergonomie pour construire la prévention dès la conception des situations de travail (Note Scientifique et Technique No 183). INRS. https://bit.ly/308uLfj
  • Hubault, F. (2010). Ergonomie et conduite de projet architectural. Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ATEMIS. https://bit.ly/3F9EBwf
  • Martin, C. (2004). 25. L’ergonome dans les projets architecturaux. In P. Falzon, Ergonomie (1ère Edition, p. 421‑435). Presses Universitaires de France. https://doi.org/10.3917/puf.falzo.2004.01.0421
  • Van Belleghem, L., Bahuaud, B., & Martin, S. (2008). L’architecte au service de l’ergonome au service de l’architecte. In P. Negroni & Y. Haradji (Éds.), Actes du 43ème congrès de la SELF. Editions ANACT Lyon. https://bit.ly/3aM9TwA

Guides / Ouvrages

  • CINOV Ergonomie (Éd.). (2021). Intégrer les usages dans un projet architectural. Le Moniteur.
  • Martin, C. (2012). Maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre : Construire un vrai dialogue – La contribution de l’ergonome à la conduite de projet architectural (2e éd. annotée). Octarès Editions.
  • MIQCP. (2006). Ouvrages publics & Coût Global. Mission Interministérielle pour la Qualité des Constructions Publiques (MIQCP). https://bit.ly/3162VAp
  • OEAP. (2010). Guide relatif à la prise en compte du coût global dans les marchés publics de maîtrise d’œuvre et de travaux. Observatoire Economique de l’Achat Public (OEAP). https://bit.ly/2Zx5jA1

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