L’exploitation plus efficace, plus intensive et à plus grande échelle des données est une des facettes des bénéfices annoncés de la transformation numérique des entreprises. Le sujet n’est pas récent. Les outils d’informatique décisionnelle (Business Intelligence en anglais), ensemble de technologies permettant aux entreprises d’analyser les données au profit de leurs prises de décisions et piloter leurs activités au moyen de tableaux de bord ), sont nés dans les années 1970 et se sont fortement développées dans les années 2000.
La généralisation de l’usage des bases de données (marketing, vente, métier, production) et de leur enrichissement a connu une forte accélération des activités de vente en ligne (e-commerce), des interactions sur les sites web et les réseaux sociaux, de la collecte des données de productions ou des équipements connectés. D’autres outils et termes sont apparus tel que la « fouille de données » (Data Mining) composante clé des techniques d’analyses prédictives et de l’exploitation des « données massives » (Big Data).
Après des décennies de stagnation, le développement et l’exploitation de l’« Intelligence Artificielle » (IA) connaît un regain d’intérêt sans précédent grâce à d’importantes avancées technologiques tant dans les logiciels que dans les capacités de stockage et de calcul des ordinateurs, notamment dans le domaine des réseaux de neurones et dans l’ « apprentissage machine » (machine learning), qui étendent les capacités de traitement et de performances dans un grand nombre de domaines mais questionnent aussi la transformation du travail et la place de l’homme par rapport aux automatismes.
(Zouinar, 2020) montre que si la majorité des questions soulevées ne sont pas nouvelles, comme de nombreux auteurs, il met en exergue la nécessité de repenser la division du travail entre humains et machines au regard des nouvelles perspectives d’automatisation ouvertes par l’IA. En effet, les progrès réalisés dans ce domaine font que les systèmes d’IA deviennent plus performants que les humains dans de nombreux cas comme le diagnostic ou l’analyse prédictive. (Crowston & Bolici, 2019)
La « Première édition du baromètre de la transformation data des entreprises françaises » réalisé par le Boston Consulting Group (BCG) et Netexplo Observatory est parue mardi 18 janvier. L’étude (BCG ; BCG & Netexplo Observatory, 2022) met en évidence que les travailleurs d’entreprises de plus de 200 salariés sont confrontés à une transformation digitale qui se traduit par l’accroissement des traitements des données, de l’automatisation des tâches dans les entreprises et certains d’entre-eux connaissent les répercussions de l’intelligence artificielle dans leur travail au quotidien.
Sommaire
Opportunités
Une majorité des salariés interrogés semble avoir une vision positive de l’utilisation des données pour leur travail et des retombées bénéfiques :
- Réduire le temps passé à réaliser certaines tâches fastidieuses : 76% des salariés de grandes entreprises interrogés (68% pour ceux des ETI )
- Réduire les risques d’erreurs (70% / 63%)
- Augmenter le temps passé sur les tâches à forte valeur ajoutée (69% vs 59%)
- Améliorer la qualité de leur travail (61% / 60%)
Menaces
Les salariés sont conscients des risques et des dérives potentiels liés à l’utilisation de la donnée :
- 72% des salariés interrogés de grandes entreprises / 74% d’ETI souhaitent être acteur de la transformation par les données et que les entités métiers accompagnent les projets d’exploitation des données
- 78% des salariés interrogés de grandes entreprises estiment que le développement de l’utilisation de la donnée risque de générer plus de contrôle au sein de leurs entreprises (76% pour les salariés d’ETI),
- 69% que cela risque de déshumaniser leur travail (65% pour les salariés d’ETI)
- 63% que cela risque de conduire à des pertes d’emploi (57% pour les salariés d’ETI)
Autre élément mis en évidence, la formation, élément clé de succès dans la gestion du changement pour s’adapter à la transformation numérique, semble encore insuffisamment anticipée.
La transformation par les données des ETI ne fait cependant que commencer
Si la moitié des dirigeants interrogés attendent une augmentation de plus de 5% du CA et 59% ont augmenté leurs investissements, il ressort des résultats que les ETI sont en retard en culture des données, équipements et en formation :
- Ainsi 58% des salariés de grandes entreprises interrogés estiment avoir une idée des opportunités offertes par l’exploitation des données dans leur travail contre 43% pour les salariés d’ETI interrogés. Cela tient sans doute par la plus grande diffusion des usages parmi les grandes entreprises.
- Selon les dirigeants interrogés, 68% des ETI ne disposent d’aucun outil utilisant de l’Intelligence Artificielle même si 20% sont en train de s’équiper.
- Point qui peut s’avérer bloquant dans l’appropriation des usages, 32% seulement des ETI interrogées ont commencé à former leurs salariés à l’utilisation des données.
Limites de l’enquête
Si l’enquête réalisée par Ipsos est présentée comme respectant la norme ISO 20252:2019 {déclinaison de la norme ISO 9001 au secteur des études d’opinion ; voir (ISO, Gasiorowski-Denis, 2019)] – la restitution de cette étude n’est pas exempte de biais ou limitations :
- Comme dans toute étude d’opinion, la première limite est liée au caractère déclaratif des réponse non recoupé par des éléments objectifs de vérification.
- Outre la taille des échantillons et leur représentativité, la segmentation des entreprises est discutable : 202 dirigeants d’entreprises de 200 salariés à 5000 salariés et 1 002 salariés d’entreprises (55% salariés d’entreprises d’ETI [200 à 5000 salariés] et 45% de grandes entreprises [+5000 salariés] ; 45% des salariés interrogés sont cadres.) ont été interrogés au téléphone (dirigeants) ou répondus à un questionnaire en ligne.
- Selon (INSEE, 2019) qui reprend la définition des catégories d’entreprises au sens du décret de la Loi de Modernisation de l’Economie (LME) de 2008 :
- les petites et moyennes entreprises (PME) sont celles qui, d’une part, occupent moins de 250 personnes, d’autre part, ont un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 50 millions d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 43 millions d’euros ;
- les entreprises de taille intermédiaire (ETI) sont des entreprises qui n’appartiennent pas à la catégorie des PME et qui, d’une part, occupent moins de 5 000 personnes, d’autre part, ont un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 1 500 millions d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 2 000 millions d’euros ;
- Selon (INSEE, 2019) qui reprend la définition des catégories d’entreprises au sens du décret de la Loi de Modernisation de l’Economie (LME) de 2008 :
- La généralisation hâtive faite dans le document par l’usage de l’expression « salariés français » au lieu de « salariés interrogés dans le cadre de l’étude ».
- La formulation de modalités telle que « Oui et je sais assez précisément ce qu’il recouvre » qui n’exclue par les biais d’interprétation par les répondants.
- L’utilisation de termes techniques et anglicismes dans l’étude liés aux technologies de l’information (big data, data analyst, open data, data science, data scientist, machine learning, data lake …) qui ne sont connus que d’une minorité des personnes interrogées (11% à 35%). Seuls les termes « Intelligence artificielle » (57%) et « algorithme » (54%) sont les plus maîtrisés. Toutes les questions qui exploitent ses termes sont donc susceptibles de générer des résultats biaisés.
- Il n’y a pas le nombre de répondants pour chaque question et le pourcentage qu’ils représentent sur l’échantillon.
- L’exemple type est la diapositive « Les salariés ayant déjà accès à des outils sophistiqués de traitement de la donnée ont une vision très positive de l’usage des données ». De quels outils sophistiqués ? s’agit-il de « forme de traitement sophistiqué de la donnée (big data, machine learning, deep learning …) ? « évoqués par ailleurs dont une infime minorité des personnes interrogés semble connaître la signification ?
- Et de conclure « Les salariés ayant une opinion positive de l’usage des données sont entre 3 et 10 fois plus nombreux que ceux ayant une opinion négative » + « 54% des salariés d’ETI (49% de grandes entreprises) déclarent que ces outils ont eu des répercussions positives sur leur bien-être au travail ». Sur quels nombres et pourcentages se basent ces commentaires ?
Ressources
Directement en lien avec l’article
- Crowston, K., & Bolici, F. (2019). Impacts of Machine Learning on Work. Hawaii International Conference on System Sciences. https://doi.org/10.24251/HICSS.2019.719
- BCG. (2022). Transformation data : Les salariés français veulent accélérer. Boston Consulting Group (BCG). https://on.bcg.com/3nF85vR
- BCG, & Netexplo Observatory. (2022). Data : Les salariés français veulent accélérer – Première édition du baromètre de la transformation data des entreprises françaises. https://on.bcg.com/3GLlRV1
- Gasiorowski-Denis, E. (2019). ISO 20252 : Un gage de confiance pour le secteur des études de marché [Page Web]. ISO. https://bit.ly/3GLSl1r
- INSEE. (2019a). Les entreprises en France – Edition 2019 – Catégories d’entreprises [Page Web]. INSEE. https://bit.ly/3fBHKdw
- INSEE. (2019b). Les entreprises en France édition 2019 (INSEE Références). INSEE. https://bit.ly/3ryilHm
- ISO. (2019). ISO 20252:2019 Études de marché, études sociales et d’opinion, y compris insights et analytique de données—Vocabulaire et exigences de service [Page Web]. ISO. https://bit.ly/3GHWeVd
- Zouinar, M. (2020). Évolutions de l’Intelligence Artificielle : Quels enjeux pour l’activité humaine et la relation Humain‑Machine au travail ? Activites, 17‑1. https://doi.org/10.4000/activites.4941
Transformation numérique des TPE/PME
- DGE. (2021, octobre 18). Baromètre France Num 2021 : Le numérique dans les TPE PME (0 à 249 salariés) [Page Web]. France Num, Portail de la transformation numérique des entreprises. https://bit.ly/3GKcbKA
- DGE, FRANCE NUM, & CREDOC. (2021). Baromètre France Num 2021 : Le numérique dans les TPE PME (0 à 249 salariés) [Résultats de l’enquête]. DGE. https://bit.ly/3KlBeWF