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Les forçats des déchets au Québec
L’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) vient de publier les résultats d’une étude intitulée « Recyclage primaire des matières résiduelles électroniques au Québec : portrait de la santé et de la sécurité du travail et appréciation du risque sanitaire ». Réalisée auprès d’entreprises québécoise du recyclage des déchets électroniques (appelé aussi e-recyclage), elle visait à évaluer l’exposition des travailleurs aux poussières, aux métaux et aux ignifuges et à apprécier le niveau de risque sanitaire pouvant en découler.
Elle met en évidence que les travailleurs des centres de recyclage électronique effectuent des opérations de démantèlement et de compactage, qui entraînent une exposition par voie respiratoire, cutanée et même orale à des concentrations parfois élevées d’un mélange de substances chimiques potentiellement toxiques, comprenant des poussières, des métaux cancérogènes, comme l’arsenic, le cadmium ou le nickel et des ignifuges. Parmi les substances toxiques auxquelles les travailleurs sont exposés se trouvent aussi le cadmium, le plomb et le mercure qui ont un potentiel d’atteinte neurotoxique ou néphrotoxique, ainsi que plusieurs ignifuges bromés, organophosphorés et chlorés considérés comme des « perturbateurs endocriniens ».
L’étude a mis en exergue les disparités dans les pratiques préventives des entreprises en fonction de leur taille et de leur mission sociale. Les chercheurs ont constaté que les statuts d’emplois souvent précaires, les défauts de port et de disponibilité d’équipements de protection individuelle (EPI), l’absence de formation appropriée à l’entrée dans l’emploi et de soutien managérial plaçaient la majorité des travailleurs dans une position de grande vulnérabilité pour leur santé et sécurité au travail.
Ce rapport formule des recommandations sur les conditions de travail et les aspects réglementaires de surveillance qui, si elles s’adressent aux entreprises québécoises, n’en restent pas moins valables pour toutes les entreprises de l’e-recyclage quel que soit leur pays d’activité. Il pointe les efforts qui devraient être déployés pour diminuer l’exposition des travailleurs aux poussières en suspension, grâce notamment à :
- des procédures de nettoyage régulières et application ;
- l’adoption de pratiques de travail réduisant les projections ;
- le déploiement et le port adéquat d’appareils de protection respiratoire ;
- une surveillance biologique annuelle de la présence de plomb dans l’air et dans le sang des travailleurs, si ce n’est pas déjà le cas.
Il pointe enfin, la nécessité de poursuivre les recherches dans le milieu du recyclage des produits électroniques.
France : autre continent, même constat
Comme un écho à cette étude québécoise, le magazine « Santé & Travail » consacre son n°118 d’avril 2022 aux « Forçats des déchets » ces « soutiers » des entreprises de collecte, tri et recyclage des déchets, filière que le BARPI classe parmi les secteurs professionnels où les accidents du travail sont les plus fréquents et les plus graves. Elle emploie environ 100 000 personnes en France dont de nombreux salariés en insertion ou des travailleurs handicapés. Le magazine dénonce, lui aussi, l’exposition des opérateurs à de multiples risques connus – pénibilité physique et mentale, horaires décalés, manipulation de produits toxiques, manque de reconnaissance … – mais aussi moins documentés, comme la contamination par les bactéries et moisissures, lors des manutentions en centre de tri ou de compostage. [Cf. l’étude (ANSES, 2019)].
Le panorama des différentes activités de traitement des déchets, brossé par le magazine, vient illustrer et compléter les conclusions de l’étude réalisée par l’ANSES en France sur ce secteur et publiée en 2019.
« Ça craint à mort, il y a des métaux lourds dans l’air, de la poussière qui vole partout. En trente ans d’expérience, je n’ai jamais travaillé dans un environnement aussi sale »
Nicolas, cité dans (de Gastine, 2022)
Dans son article intitulé « La télé, encore plus toxique à recycler qu’à regarder » Clotilde de Gastines décrit avec force le quotidien des opérateurs en charge du recyclage des déchets électroniques, les conditions de travail d’opérateurs noyés dans des nuages de poussières toxiques tel un « un brouillard de flocons luminescents » et les nombreuses atteintes à la santé caractérisées, notamment, pour nombre d’entre-eux par un fort taux de plombémie ; autant d’éléments qui étaient mis en exergue dans l’étude québécoise.
Il est temps pour l’économie circulaire de penser aux enjeux de santé au travail.

Ecrans et téléviseurs cathodiques dans une entreprise de recyclage au Bangladesh (cc Maruf Rahman)
Ces études scientifiques et articles de magazine viennent nous rappeler que si l’économie circulaire a des visées « vertueuses » par la réutilisation de matières premières et la limitation de notre impact environnemental, elle n’est pas sans coût pour la santé des opérateurs de cette filière appelée à se développer. Il est temps pour l’économie circulaire de penser aux enjeux de santé au travail et de renforcer les actions de prévention des risques et de protection des travailleurs de la filière des déchets.
Plus que jamais, outre notre implication dans les actions en matière de Santé et Sécurité du Travail, chacun de nous sommes parties prenantes et responsables par nos achats de la préservation de la santé des opérateurs des « métiers verts » (sic) et du devenir de notre planète.
Ressources
- ANSES. (2019a). Risques sanitaires pour les professionnels de la gestion des déchets en France (Avis de l’Anses – Rapport d’expertise collective Saisine n°2016-SA-0137; Avis de l’Anses). ANSES. http://bit.ly/2QiPDZL
- ANSES. (2019b). Gestion des déchets : Mieux connaître les risques sanitaires pour les professionnels. Anses – Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. http://bit.ly/2Q4vAgb
- de Gastine, C. (2022). La télé, encore plus toxique à recycler qu’à regarder [Article]. Santé & travail. https://bit.ly/3y4MX8g
- Gravel, S., Bakhiyi, B., Zayed, J., Gravel, S., Côté, D., Roberge, B., Lavoie, J., Wingert, L., & Labrèche, F. (2022). Recyclage primaire des matières résiduelles électroniques au Québec : Portrait de la santé et de la sécurité du travail et appréciation du risque sanitaire (Rapport de Recherche R-1155; Rapports scientifiques et d’expertise). Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST). https://bit.ly/3KtepiC
- Santé & Travail. (2022). Les forçats des déchets. Santé & Travail, 118. https://bit.ly/3vuMmuC
Voir aussi
- Ressources bibliographiques en SST, ergonomie et psychologie du travail sur le secteur de la gestion des déchets
- Chiffres clés sur la sinistralité, AT/MP de la filière collecte-tri-traitement des déchets
Crédit photos : John Cameron et Maruf Rahman