Les deux choses les plus importantes n’apparaissent pas au bilan de l’entreprise : sa réputation et ses hommes. »
Henri Ford
Sommaire
La perte de sens du travail
Dans le Document d’Études n°249 de la DARES, intitulé « Quand le travail perd son sens », qui vient de paraître le 25 août 2021, Thomas Coutrot et Coralie Perez étudient l’influence du sens du travail sur la mobilité professionnelle, la prise de parole et l’absentéisme pour maladie.
Ils montrent que soumis à des objectifs chiffrés, des procédures rigides et des réorganisations fréquentes, les salariés considèrent souvent que leur travail perd son sens.
Ils relient la montée de ce sentiment de perte de sens du travail à plusieurs phénomènes :
- Les processus continus de sous-traitance, de filialisation et de fusion-acquisitions dus à la quête permanente d’optimisation des rendements financiers de la part des grands groupes ;
- L’introduction du Nouveau Management Public (New Public Management) dans les services publics ; Cf (Pesqueux, 2010 ; Chappoz & Pupion, 2012) ;
- La codification et la standardisation du travail en raison de la diffusion des outils numériques ;
- Les obligations permanentes de reporting et la mobilisation d’indicateurs chiffrés qui ne reflètent pas ce qui est important aux yeux des travailleurs.
C’est quoi un travail qui a du sens ?
Pour que le travail ait un sens, il doit procurer de la satisfaction à la personne qui l’effectue, correspondre à ses intérêts, à son éthique et ses valeurs, faire appel à ses compétences, stimuler le développement de son potentiel et lui permettre d’atteindre ses objectifs.
(Coutrot & Perez, 2021) mettent en avant 3 critères qui recoupent ceux de (Morin & Aranha, 2008) :
- Il faut que le travail par sa finalité ou ce qu’il produit ait une « finalité sociale », un impact sur le monde extérieur
- Qu’il offre une « capacité de développement » en contribuant à la transformation du travailleur à son accomplissement
- Qu’il permette de conserver une « cohérence éthique », c’est-à-dire de rester en accord avec des normes éthiques et professionnelles
(Lire aussi sur le site « Donner un sens au travail, promouvoir le bien-être psychologique« )
Le travail « invisible »
Leurs travaux font écho à l’analyse détaillée faite par Pierre-Yves Gomez sur le travail rendu « invisible » dans une société financiarisée (Gomez, 2013, 2019) par la perte de vue des réalités concrètes et matérielles du travail, la négation des aspects subjectifs (la réalisation de soi) et collectifs (le travail n’est jamais fait seul ou uniquement pour soi), pour ne conserver que ses résultats quantifiables.
L’évaluation chiffrée généralisée du travail, assimilé à sa seule contribution au profit, rend le travail « invisible » et le vide de son sens, caché derrière les tableaux de bord des gestionnaires et des financiers et l’objectif de compétitivité des managers et des actionnaires .
« La crise montre que les travailleurs aspirent à être reconnus comme des sujets et non de simples opérateurs. Dans la vraie vie, le travail peut être pénible et fatiguant, mais il est aussi stimulant et enrichissant. Dans la vraie vie, le travail est vivant. » (Gomez, 2013, 4e de couverture).
La financiarisation
Rendre le travail visible
Pourquoi mon travail est « essentiel« ?
Comme la pandémie de covid-19 l’a mis en évidence à l’occasion des confinements le questionnement sur le travail « essentiel » (Coutrot & Perez, 2020) et (UGICT, 2020) est venu rebattre les cartes en mettant sur le devant de la scène et revaloriser en imposant le « présentiel » bien des métiers trop souvent oubliés des secteurs de la santé, des services à la personnes, de l’entretien de l’agroalimentaire, du commerce alimentaire et de la gestion des déchets sans qui notre société ne peut fonctionner au quotidien.
Ressources
- Chappoz, Y., & Pupion, P.-C. (2012). Le New Public Management. Gestion et management public, 1/2(2), 1‑3. Cairn.info. https://doi.org/10.3917/gmp.002.0001
- Coutrot, T., & Perez, C. (2020). Pourquoi mon travail est essentiel. The Conversation. https://bit.ly/35u3C8W
- Coutrot, T., & Perez, C. (2021). Quand le travail perd son sens. L’influence du sens du travail sur la mobilité professionnelle, la prise de parole et l’absentéisme pour maladie (Documents d’études Nᵒ 249). DARES. https://bit.ly/3niNxZ1
- Gomez, P.-Y. (2013). Le travail invisible : Enquête sur une disparition. (1ère Ed.). Franc̥ois Bourin Éditeur.
- Gomez, P.-Y. (2019). Le travail invisible : Enquête sur une disparition. (2nd Ed. Poche). Desclée de Brouwer.
- Morin, E. M., & Aranha, F. (2008). Sens du travail, santé mentale au travail et engagement organisationnel (Etudes et Recherches R-543; Santé psychologique). Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST). https://bit.ly/3rZQNej
- Pesqueux, Y. (2010). Le « nouveau management public » (ou New Public Management). https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00510878
- UGICT. (2020). Le travail sous épidémie [Rapport d’enquête]. UGICT. https://bit.ly/35w1Tjq
Pour en savoir plus sur les risques psychosociaux
- Repères | Prévention des risques psychosociaux (RPS) et du stress
- Ressources bibliographiques | Prévention des risques pour la santé mentale au travail : RPS, stress, burn-out …
Crédit Photo Stefano Pollio
