Semaine de 4 jours : ne pas oublier les enjeux de santé et sécurité au travail

Un intérêt qui ne faiblit pas pour la semaine de 4 jours

Des arguments économiques et environnementaux

Depuis la pandémie de covid-19, la presse se fait l’écho d’un nombre croissant d’initiatives d’entreprises aux USA, en Europe et en France (LDLC, Welcome to the Jungle, Structa, Mozoo, Elmy …) d’organiser le temps de travail sur 4 jours, avec ou sans réduction du temps de travail hebdomadaire.

Cette tendance – qui fait l’objet de sites dédiés pour en faire la promotion – constitue pour les entreprises un moyen d’améliorer leur attractivité auprès de travailleurs tentés par une journée de repos supplémentaire sans perte de salaire et à une meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle.

Les entreprises espèrent, quant à elles, des salariés plus satisfaits et reposés et qui seraient alors plus productifs (4dayweekglobal, 2021 ; Lockhart, 2021 ; Marchandier, 2022). Ce serait également pour elles un moyen de développer la créativité, attirer et fidéliser les talents (Focus RH, 2022 ; Laidet-Ratier, 2023) voire même, de réduire leur impact environnemental (4dayweekglobal , 2021 ; Nasi, 2023).

Des attentes fortes de la part des salariés

Selon l’étude ADP^® Research Institute « People at Work 2023 : l’étude Workforce View » publiée au mois de juillet (ADP France, 2023)

• 22 % des travailleurs français interrogés estiment que la semaine de 4 jours sera la norme dans leur secteur d’activité d’ici 5 ans et 18 % disent qu’il sera possible de bénéficier d’une flexibilité totale des horaires de travail.
• 37 % des salariés préféreraient travailler 4 jours par semaine, en conservant le même salaire, mais avec des journées de travail plus longues.

Selon les données collectées auprès des 2 000 personnes interrogées en France pour cette étude, les salariés de l’industrie (31 %) seraient les plus nombreux à affirmer que la semaine de 4 jours deviendra la norme, suivis par ceux de l’informatique et des télécommunications (27 %), de l’immobilier et du commerce (25 %). A l’inverse, les travailleurs des médias et de l’information ne sont que 15 % à faire cette projection.

Quels points de vigilance pour la santé et la sécurité au travail ?

Alors que de nombreuses sources d’information sur la semaine de 4 jours sont anglo-saxonnes, l’INRS vient de faire paraître le 9 septembre 2023 la fiche ED 8003, un court document de décryptage de quatre pages intitulé « La semaine de 4 jours – Enjeux pour la santé et la sécurité au travail ». Il présente l’étendue des modalités possibles, les conséquences économiques mais aussi les points de vigilance pour la santé et la sécurité au travail qu’il ne faut pas oublier.

Impacts individuels

• Un risque de déséquilibre vie professionnelle / vie personnelle :
  • L’allongement des journées peut générer ou accentuer les difficultés de garde d’enfants notamment pour les foyers monoparentaux et en particulier les mères célibataires.
  • Amplification de la tendance à mener une double activité professionnelle, notamment chez les plus jeunes générations.
• Une intensification de l’activité pour maintenir la production en un temps réduit. Accomplir la même quantité de travail en moins de temps risque de générer une surcharge de travail et un stress accru. Cela peut se faire au détriment des temps de pause et de coordination. Cela peut également entraîner un débordement de l’activité de travail dans la sphère privée, les soirs et week-ends pour compenser des aléas de production qui pouvaient au paravent être mieux lissés.
• En l’absence de réduction du temps hebdomadaire de travail une fatigue accrue avec des journées plus longues peut engendrer une réduction de la vigilance ou une augmentation des risques d’accidents et des risques routiers (de mission ou de trajet).
• Pour certains travailleurs, cela peut augmenter aussi la durée d’exposition journalière aux facteurs de pénibilité, aux gestes répétitifs, aux postures sédentaires, au bruit ou aux vibrations … et donc aux risques TMS et dégradation de la santé des salariés concernés.
• Un sentiment d’insécurité et d’instabilité qui sont facteurs de RPS comme cela a pu être observé lors du passage aux 35H en France lorsque les entreprises ont cherché à accroître leur productivité en augmentant l’automatisation et la mécanisation.

Impacts collectifs

• Un encadrement perturbé et complexifié par l’obligation de coordonner les activités entre les employés et d’assurer une continuité de service si l’entreprise décide de rester ouverte sur 5 ou 6 jours. Ce travail de coordination est chronophage et peut être source de stress.
• Une mise à mal des collectifs de travail et une perte de cohésion si certains travailleurs sont tentés de travailler plus rapidement, et affectent la qualité du travail ce qui peut engendrer des mésententes. L’intensification du travail peut conduire aussi à une diminution des temps d’échanges informels et de passation des consignes, qui sont des éléments importants pour la cohésion des collectifs.

Quels repères en prévention ?

Comme le rappellent les auteurs, il est important de bien mesurer les risques possibles pour la santé induits par de telles modifications des temps de travail et leurs conséquences et de mettre en œuvre les mesures de prévention pour les limiter les impacts : fatigue (temps de travail plus long et donc d’exposition aux facteurs de pénibilité et de stress), intensification du travail (faire plus en moins de temps), débordement (yc adaptation aux aléas), mise à mal des collectifs …

Les auteurs proposent quelques repères en prévention :

Prendre la mesure de l’impact organisationnel et humain

• Quelles que soit les modalités choisies par les entreprises, elles impliquent des réorganisations importantes et des phases d’adaptation plus ou moins longues pour trouver les bons ajustements pour l’entreprise et les collectifs de travail (nouveaux modes opératoires, organisation des services, mise en place d’outils d’automatisation …), les managers (coordination des équipes), les salariés (yc fonctionnement dans certains cas en binômes)
• Les modifications des temps de travail ont des impacts sur les situations de travail (allongement du temps de travail, réduction des temps de pause et des étapes de coordination / passation de consignes …) et donc sur les risques pour la santé et la sécurité des salariés. L’accidentologie augmente avec l’augmentation du temps de travail qui se cumule avec les temps de trajets domicile-travail. Sans compter les impacts sur la vie personnelle avec les contraintes associées aux personnes à charge (enfants, parents âgés …)
• Chaque modification nécessite la mise en œuvre d’une évaluation des risques professionnels ainsi que la mise en place de mesures de prévention adaptées portant à la fois sur l’organisation du travail, la formation et l’information de l’encadrement et des salariés, que sur l’aménagement des postes de travail des personnes concernées.
• Ces adaptations doivent être conduites en concertation avec les salariés, leurs représentants et le service de prévention et de santé au travail.

Introduire une démarche itérative d’évaluation des risques et la possibilité d’ajustement en conséquence

Les retours d’expérience en matière de changements organisationnels montrent l’importance de réitérer dans le temps l’évaluation des risques professionnels et d’adapter en conséquence les mesures correctives avec la possibilité d’ajustements et de retour en arrière après des périodes de test.

Des pistes pour le passage à la semaine de 4 jours ?

Des éléments utiles de méthodologie peuvent être tirés de l’expérience détaillée par le média en ligne spécialisé que le travail et les offres d’emplois « Welcome to the Jungle » (WTTJ, 2020, 2021) et (Girardot & Decamps, 2023) ou dans les ouvrages de chefs d’entreprises tels que Andrew Barnes (Perpetual Guardian) « The 4 Day Week: How the Flexible Work Revolution Can Increase Productivity, Profitability and Well-being, and Create a Sustainable Future » ou le manifeste de Laurent de la Clergerie (Président fondateur du Groupe LDLC) « Osez la semaine de 4 jours« .

Ressources

• 4dayweek.io. (s. d.). Pros and Cons of the 4 Day Work Week [Page Web]. 4dayweek.Io. https://bit.ly/3LJ80Dm
• 4dayweekglobal. (2021). Stop the clock- The environmental benefits of the 4 Day Week by 4dayweekglobal. ISSUU. https://bit.ly/3PZ2Wgp
• ADP France. (2023a). People at Work 2023 : L’étude Workforce View. ADP France. https://bit.ly/3Q06YVY
• ADP France. (2023b). Semaine de 4 jours : L’intérêt des Français ne faiblit pas ! [Communiqué de Presse]. ADP. https://bit.ly/46zww1w
• Barnes, A. (2020). The 4 Day Week : How the Flexible Work Revolution Can Increase Productivity, Profitability and Well-being, and Create a Sustainable Future (Illustrated édition). Piatkus.
• Boulenger, F. (2022). Semaine de 4 jours : La Tech, première de cordée [Actualité]. Alliancy. https://bit.ly/45dPDgH
• de la CLERGERIE, L. (2023). Osez la semaine de 4 jours ! L’alternative pour allier bien-être et efficacité. SAS PTITFOX.
• Environnement Magazine. (2023). La semaine de quatre jours « validée » chez Elmy [Article de revue]. Environnement Magazine. https://bit.ly/3tdvYQO
• Focus RH. (2022). « elmy adopte la semaine de 4 jours pour mieux équilibrer les vies pro/perso et fidéliser les talents » [Article de revue]. Focus RH. https://bit.ly/3LJhv5f
• Girardot, L., & Decamps, T. (2023). Semaine de 4 jours : Comment la mettre en place en 7 étapes. Welcome to the Jungle. https://bit.ly/45f2zmx
• Henley Business School. (2021). Henley Business School—Four Better or Four Worse by 4dayweekglobal. ISSUU. https://bit.ly/46x674B
• INRS. (2023). La semaine de 4 jours—Enjeux pour la santé et la sécurité au travail (Fiche ED 8003; Décryptage). INRS. https://bit.ly/46adTBE
• Kamerāde, D., Wang, S., Burchell, B., Balderson, S. U., & Coutts, A. (2019). A shorter working week for everyone: How much paid work is needed for mental health and well-being? Social Science & Medicine, 241, 112353. https://doi.org/10.1016/j.socscimed.2019.06.006
• Laidet-Ratier, S. (2023). Les entreprises passées à la semaine de 4 jours payée 5 jours s’expliquent [Article de blog]. Cadremploi. https://bit.ly/46vG2D6
• Lockhart, C. (2021). Stop the Clock. 4 Day Week Global. https://bit.ly/3ZBDdy3
• Marchandier, I. (2022). Avec la semaine de 4 jours, Laurent de la Clergerie a amélioré la qualité de vie de ses collaborateurs [Article]. Le comptoir de l’entreprise. https://bit.ly/48xW8xD
• Nasi, M. (2023). « Passer à la semaine de quatre jours au travail aurait un vrai impact sur la planète ». Le Monde.fr. https://bit.ly/3PWP9ac
• Nedjar, L. dorsaf. (2023). Semaine de 4 jours : Quels avantages et inconvénients ? [Article]. Juritravail. https://bit.ly/3ZFMKE1
• Posthuma, L. (2022). The 4-day week: Panacea or pariah? [Article de blog]. Welcome to the Jungle. https://bit.ly/3tiOYxd
• Walker, J., & Fontinha, R. (2021). The pandemic and the evolution of flexible working [White Paper]. Henley Business School. https://bit.ly/45f2YW5
• WTTJ. (2020). Comment nous avons testé et adopté la semaine de 4 jours [Page Web]. Welcome to the Jungle. https://bit.ly/48CC6SB
• WTTJ. (2021). Welcome to the Jungle Case Study. ISSUU. https://bit.ly/3LLwc86
• WTTJ. (2023). Semaine de 4 jours. Welcome to the Jungle. https://bit.ly/3PwXFLO